Soumission chimique. Approche toxicologique. Prélèvements, substances impliquées et analyses
Les agents chimiques identifiés dans ces situations sont essentiellement de 2 types, avec des effets pharmacologiques très différents : les sédatifs et les euphorisants entactogènes. La première catégorie combine des actions hypnotique, narcotique et parfois myorelaxante. Elle est représentée par les benzodiazépines (telles que alprazolam, bromazépam, diazépam), les hypnotiques (tels que zopiclone, zolpidem), les antipsychotiques (tels que cyamémazine, alimémazine) et les antihistaminiques (tels que doxylamine, diphenhydramine, hydroxyzine). Cette liste peut être complétée par d’autres molécules pouvant provoquer des hallucinations et donc désorienter la victime dont la scopolamine et la kétamine. Le GHB, pourtant présenté comme la drogue du violeur, n’est qu’exceptionnellement retrouvé dans un cadre de soumission chimique alors que plus fréquent dans une pratique de Chemsex. La faible fréquence de détection du GHB pourrait également être liée à sa demi-vie très courte. L’ecstasy ou certaines cathinones de synthèse comme la 3-MMC, la 4-MEC, la 5-APB ou encore la MDPV, du fait de leurs effets entactogènes peuvent être utilisées comme euphorisant, stimulant de la libido et pour abolir la méfiance de la victime. Ces substances peuvent être parfois associées à un sédatif. D’autres agents psychoactifs peuvent être utilisés, dans un cadre de vulnérabilité chimique (usage volontaire), tels que l’alcool éthylique, le cannabis ou la cocaïne. Toutes ces molécules présentent, à divers degrés, une action sur la mémoire récente. L’amnésie est antérograde et n’est généralement pas totale, avec présence de flashs qui reviennent dans les jours suivants, ce qui peut contribuer à un flou lors de la déposition aux Assises, renforçant l’importance des analyses toxicologiques.
Le « produit idéal » pour l’agresseur en matière de soumission chimique devrait être actif rapidement et à faible dose, à dissolution rapide dans une boisson, dénué d’un goût particulier, capable de produire des effets de durée brève et réversible et posséder une demi-vie d’élimination suffisamment courte pour permettre son élimination rapide de l’organisme, le rendant ainsi difficilement détectable dans les matrices biologiques prélevées chez la victime.
Il convient de rappeler que les prélèvements à visée toxicologique (sang et urine) doivent être recueillis le plus tôt possible après les faits afin d’assurer une meilleure probabilité de détection d’un agent de la soumission chimique. Si une plainte pour soumission chimique est déposée tardivement (3 à 5 jours après les faits) l’agent chimique peut avoir été complètement éliminé du sang et de l’urine, rendant indispensable une analyse de cheveux.
Recommandations
Prélèvements à réaliser lors de la consultation initiale : sang sur EDTA (Vacutainer à bouchon violet), sang sur fluorure (Vacutainer à bouchon gris) et sang sur héparinate de lithium (Vacutainer à bouchon vert) + urine sur tube sec (Vacutainer à bouchon ocre) + 3 mèches de cheveux orientés et prélevés un mois après les faits. Le sang et les urines sont à conserver à + 4 °C ou – 20 °C si l’analyse est faite au-delà de 3 jours; les cheveux sont à conserver au sec. Pour discriminer une molécule identifiée dans le cadre des investigations par rapport à un usage thérapeutique, il peut être intéressant de prélever en même temps que le sang et les urines une première mèche de cheveux. Pour chaque matrice, le laboratoire devrait connaître la stabilité chimique des analytes à rechercher.
Enfin, l’analyse de résidus de boissons comme le fond d’un verre ou d’une tasse de café, de fioles suspectes, de bouteilles retrouvées chez l’agresseur, de vaisselle potentiellement souillée, de vêtement(s) voire même de vomissement(s) est à privilégier lorsque cela est possible. Ces prélèvements sont à conserver à + 4 °C.
Une fiche de liaison clinicien-toxicologue devrait accompagner les prélèvements.
Techniques analytiques recommandées : chromatographie en phase gazeuse pour l’éthanol, chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse pour le GHB, LC-MS/MS ou LC/HRMS pour toutes les autres molécules.
Éventuellement, un test ELISA benzodiazépines peut s’avérer intéressant, toutes les benzodiazépines de synthèse (métizolam, bromazolam …) répondant à cette technique.
Les tests immunochimiques classiques sont à proscrire, parce qu’ils ne sont pas assez sensibles mais surtout parce qu’ils ne sont pas assez spécifiques et qu’ils ne permettent pas d’identifier la totalité des molécules retrouvés dans les rares études épidémiologiques. La chromatographie liquide ou gazeuse couplée à la spectrométrie de masse en tandem reste la référence absolue en matière d’analyses toxicologiques (c’est d’ailleurs ce qu’à retenu le législateur dans son arrêté du 29 septembre 2017, cas n° 6 et 7). Les systèmes de spectrométrie de masse haute résolution (HRMS) de type magnétique ou temps de vol apportent un complément intéressant pour caractériser des substances moins répandues comme la tetrahydrozoline ou la clonidine, la diméthyltryptamine de l’ayahuasca , les inhibiteurs de phosphodiestérases-5 de type sildenafil ou tadalafil, des hypoglycémiants oraux (surtout les sulfamides) ou les nouvelles substances psychoactives.
Substances à rechercher : X-MMC, 7-amino-clonazépam, alimémazine, alprazolam, bromazépam, cétirizine, chlorphéniramine, clobazam, clonazépam, clonidine, cyamémazine, ∆9-tetrahydrocannabinol et THC-COOH, diazépam, diphenhydramine, doxylamine, éthanol et éthyl glucuronide, fluoxétine, GHB/GBL, halopéridol, hydroxyzine, kétamine, lévomepromazine, loprazolam, lorazépam, lormétazépam, MDMA, midazolam, niaprazine, nordiazépam, oxazépam, oxomémazine, prégabaline, scopolamine, témazépam, tramadol, zolpidem, zopiclone. A cette liste, les stupéfiants usuels peuvent se rajouter. Pour chaque classe médicamenteuse, ce sont les molécules les plus représentatives qui ont été retenus, étant bien entendu que d’autres représentants de chaque famille thérapeutique peuvent être utilisés. Par ailleurs, cette liste constitue une approche à minima qu’un criblage par spectrométrie de masse haute résolution peut compléter.
Pour en savoir plus
Toxicological Aspects of Drug-facilitated Crimes, Academic Press, P. Kintz ed., London, 2014, 1-292 (ISBN 978-0-12-416748-3)
P. Kintz – Soumission chimique, un enjeu sociétaire : à tout âge, sans limite de situation, avec des agents incapacitants très variés. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 2024, 208, 181-186
F.P. Busardo, S. Pichini, P. Kintz – GHB-facilitated sexual assault : how to proper asses a single GHB exposure in hair. Drug Testing and Analysis, 2023, 15, 796-797
P. Kintz, J.S. Raul – Entactogènes (MDMA) et soumission chimique. Revue de Médecine Légale, 2016, 7, 71-74.
Larabi IA, Martin M Etting I, Penot P, Fabresse N., Alvarez JC. Drug-facilitated sexual assault (DFSA) involving 4-methylethcaninone (4-MEC), 3,4 Methylenedioxypyrovalerone (MDPV) and doxylamine highlighted by hair analysis. Drug Testing Analysis, 2018, 10(8): 1280-1284.
Mura P., Visinoni P., Alvarez J.C., Goullé J.P., Kintz P. Le cannabis : quelle place dans la soumission chimique. Annales de Toxicologie Analytique, 2002, XIV (4): 412-416.
Lemaire-Hurtel A.S., Maugard C., Devolder C., Grassin-Delyle S., Hary L., Masson H., Andrejak M., Alvarez J.C. Soumission chimique chez l’enfant : à propos d’un cas chez une fillette de 8 ans diagnostiqué en milieu hospitalier. Annales de Toxicologie Analytique, 2008, 20(4): 211-215.
P. Kintz – Soumission chimique : stop aux contre-vérités. Toxicologie Analytique et Clinique, 2022, 34, 133-135
https://ansm.sante.fr/page/resultats-denquetes-pharmacodependance-addictovigilance
Ont participé à ces recommandations : Jean-Claude Alvarez, Alice Ameline, Nadia Arbouche, Laurène Dufayet, Véronique Dumestre-Toulet, Nicolas Fabresse, Alexandr Gish, Pascal Kintz, Amine Larabi, Anne-Laure Pélissier-Alicot, Théo Willeman
Pas de conflit d’intérêt
Auteur correspondant : Pascal Kintz, pascal.kintz@wanadoo.fr
Institut de médecine légale
11 rue Humann, 67000 Strasbourg